Francois DEGAH etait un Homme Multiple

Paix a son ame 1950 - 2002

par Jonas GNEMABE

NOTE DE L'AUTEUR

Ce petit livre est un témoignage vivant d'un ami à Monsieur DEGAH François, Instituteur de carrière, Chef Traditionnel de 2e. degré, Administrateur municipal, Maire, homme politique, chevalier du mérite Camerounais.

Ce livre peut paraître incomplet aux yeux des uns et des autres, mais retrace l'essentiel dans la vie d'un homme ; un homme multiple. Il n'est nullement pas écrit pour frustrer quelques uns mais met seulement en exergue la valeur d'un homme exemplaire, un homme dont la qualité humaniste n'échappe à personne surtout à tous ceux qui ont eu la chance de le côtoyer pendant la durée de sont existence ici sur terre, un homme doué d'une intelligence exceptionnelle et d'un sens d'organisation remarquable. Bref, un homme dont tout sur lui n'est que réflexe.

Chapitre 1 : L'ETAT VIVIL 

1 NAISSANCE ET UNIVERS AFFECTIF

Monsieur François DEGAH est né vers 1950 à Somié de père feu chef KOUNAKA et de feue mère BENKEN. De sa mère naîtront deux autres enfants : il s'agit de TOUH et de BELLO Charles. Il faut signaler ici qu'avant que sa mère ne devienne la femme du Chef KOUNAKA, elle était mariée à MAGAR, chez qui elle à donné une première fille nommée GOUNASSAM. De sa mère DEGAH François est le seul garçon né à la chefferie.

Comment la mère de François DEGAH est devenue subitement la femme du chef KOUNAKA alors, qu'elle était l'épouse de MAGAR ? Tenez, la grand-mère de DEGAH aurait eu une vision dans une nuit est venue dire à sa fille BENKEN de quitter son mari MAGAR (ce qui est interdit dans la tradition Mambila ) et d'aller épouser le chef afin de donner naissance à un garçon qui régnera sur tout le peuple Mambila du canton de Somié . A cet instant, un complot se tissa autour de MAGAR et les rumeurs parvinrent aux oreilles de celui-ci qui prit peur et alla s'exiler au Nigeria, laissant BENKEN et la petite GOUNASSAM.

Le champ étant resté libre, KOUNAKA s'empara de la femme de MAGAR qui devint l'une des épouses du Chef : avec qui il mettra au monde un garçon appelé François DEGAH ( futur chef de la contrée ). Le rêve de la grand-mère devint réalité mais malheureusement, elle ne goûtera pas au fruit de son rêve car elle mourut sans voir son petit-fils monter au trône.

Très tôt pour DEGAH son père mourut. Sa mère devait quitter la chefferie après la période de veuvage. C’est ainsi que Monsieur François GOUAH, un des oncles de DEGAH hérita sa mère : C'est là qu'elle accouchera successivement Mlle TOUH et BELLO Charles. Après l'accouchement de BELLO Charles, elle mourut, laissant ainsi quatre orphelins. Ce fut le carrefour de trois morts : grand-mère, père, et mère. Il faut aussi dire que peut être cela serait le mauvais sort que la tradition Mambila leur aurait réservé ( la grand- mère pour avoir fait sortir sa fille du premier mariage, le père pour avoir épousé la femme d'autrui, la mère pour avoir commis l'adultère). Qui a dit que le mauvais sort n'existe pas ? Gare au "Sua" ; le SUA n'épargne personne, même les chefs en sont victimes. Ce fut maintenant dur, très dur pour DEGAH et ses frères de vivre chez GOUAH, car leur marâtre ne les traitait pas aux bons soins. Ce fut la période de vaches maigres pour eux.

La grand-mère de BELLO et TOUAH voyant cela, les prit et les encadra. DEGAH de son côté s'en alla chez l'oncle MENA Adolphe et une nouvelle vie commença pour les trois frères. Bien à signaler, DEGAH s'occupait quotidiennement de son frère BELLO qu'il portait au dos en longueur de journée. Pendant les jeux d'enfants, DEGAH trouvait un coin dans la cours où ii déposait son frère avant de jouer avec les autres enfants de sa génération. Parfois il ne goûtait même pas au plaisir du jeu lorsque BELLO entonnait des pleurs.

II SUR LE CHEMIN DE L'ECOLE

A l'âge de six (6) ans son oncle l'envoya à l'école de Molière dirigée par les Missionnaires Protestants à Somié. Nous fîmes ensemble cette école jusqu'au cours élémentaire deuxième année où nous nous éparâmes. Une partie des camarades rejoignirent Bankim pour les cours moyen I et II alors que lui partait pour l'école principale des garçons de Banyo. La vie scolaire qui ne leur était pas favorable lui et ses camarades, ils étaient obligés d'aller chercher de temps en temps du bois de chauffage très loin de la ville pour le vendre à vil prix aux paresseux foulbés. De même, afin de mener un combat acharné contre la faim, il leur arrivait parfois de voler les patates dans les champs pour subsister. Et là, lorsque les propriétaires venaient à se plaindre chez le Directeur de l'école, chacun d'entre eux recevait une bastonnade souveraine. Après l'obtention du diplôme de Certificat d'Etudes Primaires et Elémentaires (CEPS), il se rendit à Garoua auprès de son grand-frère consanguin Monsieur MENANDI Isaac. Quelques temps après il est admis au cours normal d'instituteurs où il suivit sa formation au centre de PITOA ( Localité situé à 17 Km de Garoua dans le Nord Cameroun).

Chapitre II : VIE PROFESSIONNELLE, SOCALE, RELIGIEUSE ET SPORTIVE

1 VIE PROFESSIONNELLE

De l'école normale d'instituteurs de Pitoa, DEGAH ressortira nanti du diplôme de ladite école en 1968. il fut aussitôt mis à la disposition du sous-inspecteur de l'enseignement Primaire et maternel de Makary dans le Fort Foureau (actuel Kousseri dans l'extrême nord). Celui ci l'envoya à l'école publique de Zina, localité situé à 05 km de Kousseri où il y passa trois bonnes années, ensuite à Marako (Djainé) où il y resta deux ans durant. Enfin il sera muté à Ribao où il passera quatre ans : ce sera son dernier poste avant son intronisation à la chefferie traditionnelle de Somié. Il faut signaler que son grand frère consanguin lui avait demandé ue souvent refuser cette responsabilité. Le 20 Septembre 1976, Monsieur François DEGAH fut nommé chef de canton de Somié, ceci suite au décès de l'ancien chef MOUKOU Michel. Ne laissant pas ses fonctions d'instituteur, il fut nommé cumulativement avec ses fonctions de Chef de canton au poste de Directeur de l'école publique de Somié responsabilité qu'il assumera jusqu'à sa nomination par le Chef de l'Etat en qualité d'Administrateur Municipal de la commune rurale de BANKIM. En 1996, il fut élu maire de cette même commune par ses pairs conseillers municipaux. Il dirigea désormais le conseil municipal de la commune Rural de BANKIM jusqu'à sa mort. Personne n'ignore les bonnes qualités qu'avait ce magistrat municipal.

Il VIE SOCIALE

Venu au village pendant les grandes vacances, il fut séduit par une jeune demoiselle nommée DAKE Suzanne : une fille du village Lingam venue un samedi au marché de Somié. Les négociations entreprises entre la jeune fille et le jeune garçon fonctionnaire, elle accepta un enlèvement de chez les parents par son fiancé (bien aimé). Je fus l'émissaire chargé de monter le plan de l'enlèvement. Pour ce faire, je me rendis auprès de l'oncle de DEGAH pour qu'il me donnât la stratégie à adopter pour cette mission délicate. Après réception de la stratégie, je me rendis auprès de mademoiselle pour que tous ensemble on décide du jour de l'opération. La journée de mercredi fut choisie et j'organisais immédiatement un groupe de commando composé des filles et des garçons pour la descente sur le lieu à Lingam (village situé à 18 km de Somié ). Bien que risquer, l'opération a failli échouer à cause du comportement de certains d'entre nous qui a attiré des soupçons. Heureusement pour nous, entrant en complicité avec un des frères de la fille, il nous a rendu la tâche facile et nous avons pu enlever cette dernière dans l'ultime seconde aux environs de 20h. Le tapage et les grincements des dents des parents de la fille le lendemain à Somié n'ont servi à rien. Les parents de DEGAH ont su calmer le jeu. C'est ainsi que mademoiselle DAKE Suzanne devint l'épouse de Monsieur DEGAH François.

Les vacances terminées, le jeune marié regagna son service à Marako-Dja:né, laissant ainsi temporairement son épouse auprès de son oncle MENA pour besoin coutumier.

III VIE RELIGIEUSE

De son prénom François nous prouve que DEGAH était un chrétien et effectivement il l'était comme ayant été baptisé à la mission Protestante de Somié. Après son intronisation, il deviendra musulman et s'appellera désormais Souleymanou DEGAH. Il faut dire que ce prénom

13

Souleymanou ne sera pas connu par l'Administration Camerounaise parce que n'ayant pas été reconnu par un acte juridique.

Il faut signaler ici que pendant ses 25 ans et 7 mois de règne, Souleymanou DEGAH, comme le permet le coran, prendra successivement comme épouse mesdemoiselles : ATTA, NOH Henriette, KOUN, Marie NONSELA, SALAMATOU, IYAH, FANTA, Valérie et enfin ZENABOU. Comme on peut le constater, il était un grand polygame (une dizaine de femmes) avec oui il mettra au monde une quarantaine d'enfants. Il faut le faire.

IV VIE SPORTITVE

Compagnon fidèle sur les terrain de football, nous pratiquions pendant les grandes vacances ce sport qui est favori pour tous les jeunes dans notre pays le Cameroun. Les matches amicaux inter-village et la coupe des vacances était organisés : c'est ainsi qu'existait à Somié, Lingam, Songkolong, et Atta une équipe de football dans chaque villai.e respectif. Bon milieu de terrain au football, passeur d'une race exceptionnelle, François DEGAH était l'un des piliers de notre équipe de football du village Somié. Lors d'un matche de football entre notre village et celui de Atta au cours duquel je m'étais fait mal, François a interrompu le matche en attendant que je m'y remette. Heureusement il y avait plus de peur que de mal. Je me suis remis et le match a continué son cours normal. Grande fut notre joie lorsque le coup de sifflet final retenti sur le score d'un but à zéro (1-0) en notre faveur. Rentrés dans la maison où nous étions reçus, nos sacs avaient curieusement disparu. Après enquête faite, nous subissions le coup de caprices des filles d'Atta qui nous obligeaient à passer la nuit dans leur village. Que l'ambiance était belle ! Nous avons passé la nuit à danser, à boire qui de la bière, qui du vin de maïs, qui du vin de palme et qui d'autres boissons traditionnelles.

Chapitre III : OEVREURS SOCIALES

1 HOMME DE PAIX

Des missions qui lui ont été confiées par ses pairs ont souvent abouties à une réconciliation partielle ou totale. Tel fut le cas de l'épiternel problème de limite entre les villages de Songkolong et celui de Atta. Un jour François DEGAH réussi à rassembler autour d'une même table les différents Chefs et notable des villages en conflit pour un débat qui a abouti à une réconciliation, une entente et une serrée de main solennelle entre les deux chefs : ce qui fût un très grand succès.

Il n'est pas inutile de signaler que : Monsieur François DEGAH, à plusieurs reprises est intervenu pour sortir des griffes de la force de l'ordre (Gendarmes et policiers) sa population et ses allogènes venu le jour de samedi pour le marché de son village Somié. Il a engagé un combat contre la distribution clandestine du vin appelé communément ARKY (vin distillé à partir du manioc et de la levure du maïs dont le degré d'alcool n'est point connu) qui est à la cause de beaucoup de maux tant dans les foyers que sur la santé de l'Homme. Il lui arrivait de se déguiser la nuit pour surprendre les buveurs et les vendeuses qu'il punissait sévèrement. Cette stratégie mis fin à l'existence de ce maudit vin dans son canton de commandement ; de nombreux foyers conjugaux ont retrouvés leur bonheur qui était en voie de perdition, des hommes qui mouraient à petit feu pour consommation excessive de cette boisson ont retrouvés leur embonpoint. Quel amour ! bien que cette interdiction n'arrangeait pas certaines personnes qui ont pris cette boisson pour une source financière, une réjouissance, retrouvaille en bref une occupation et une activité principale.

Plusieurs fois reçu par le Chef de l'Etat tant au palais que dans les provinces de l'Adamaoua et du Nord, François DEGAH était aux yeux des politiciens un homme capable de porter le message du parti ( RDPC) à ses militants et adhérents. C'est pour cela qu'il fut à maintes reprises désigné par ses pairs Chef traditionnels comme leur porte parole de présenter au Chef de l'Etat tomes les doléances et les motions de soutien lors du passage de celui ci dans les provinces de l'Adamaoua ou du Nord. Ce qui a valu à cet homme, le seul Chef traditionnel jusqu'à présent dans l'Arrondissement de BANKIM d'être décoré comme Chevalier du Mérite Camerounais.

III HOMME DU DEVELOPPEMENT

Il fut un grand catalyseur un grand artisan du développement tant pour le canton de Somie que pour l'arrondissement de BANKIM et ceci dans tous les domaines économique, social et culturel. II s'intéressait en pionnier au développement de son canton. C'est ainsi qu'en 1984, naîtra sous son impulsion le comité de développement du Canton de Somie (CODECANSO) qui deviendra en 1999, l'association de développement du Canton de Somie (ADECANSO) conformément a la loi n° 90/53 du Décembre 1990 portant sur la liberté d'associations.

Des projets proposes par lui et les autres seront réalisés au fur et a mesure que les moyens étaient réunis.

Nous citerons en passant pour Somie : la construction d'une case de passage ; celle-ci abrite actuellement les services de l'agriculture et d'Elevage de Somie ; l'achat d'un groupe électrogène pour l'éclairage de la chefferie et de la cour lors des grandes fêtes ou des grands jours (arrivée des autorités Administratives, traditionnelles et certains grands invités) ; la construction par la population de la route Somie-Ribao ; la construction d’une salle des fêtes ou case communitaire ui fait des jaloux dans la plaine TIKAR.


Je ne citerai pas ici des actions personnelles que mènera cet homme pour son canton durant son regie. Enfin le grand projet d'adduction d'eau dont Francois DEGAH ne verra jamais l'aboutissement des travaux, ni ne goûtera a cette eau qui coulera des robinets. Quelque jours avant (3j) sa mort, il dira une élite extérieure de Somie : « après ma mort, il faut continuer le combat pour les travaux d'adduction. Faites-les réaliser ». ô combien l'amour de son village le tenait a cœur ! Le 15 Aout de chaque année, se réunissaient autour de lui toutes les élites intérieures et extérieures pour parler le même langage : le "développement" du Canton . Au niveau de l'Arrondissement, nous citerons la construction du marché de NYAMBOYA, et celui d'ATTA, l'acquisition d'une benne pour la commune rurale de BANKIM . etc.

II mourut le 29 Avril 2002 a militaire de Yaoundé ou il fut interné pendant plusieurs mois et inhume le 1er mai 2002 a Somie au lieu réservé aux chefs et a leurs descendants dans la stricte tradition musulmane. 11 laisse 7 veuves, 31 enfants vivants et 8 petit-fils.

Il est mort à l’âge de 52 (cinquante deux) ans, un peu plus d’un demi siecle.

Paix à son âme.



IV CONCLUSION

Comme on peut le constater, Francois DEGAH aura ete pour Somie : l'homme qu'il faut a la place qu'il faut. Ce fut un homme pluridimensionnel, qui a su concilier la tradition et le modernisme, la vieillesse et la jeunesse, l'économique et le social, bref un homme a tout faire et dans le bon sens.

Alors ! que deviendra le canton de Somie sans François DEGAH ? Peut être est-il tres tot de se verser dans les questions ? Laissons le temps au temps (wait and see).


Jonas GNEMABE Inspecteur du travail Retraite Chevalier du Mérite Camerounais.